
De Kiri Sakor (Cambodge) – Accroupie sur le bas-côté, Phan Mai, 21 ans, déracine des buissons en fleur avec une pelle pour les replanter. Son chapeau à large bord n’offre que peu de protection contre le soleil qui tape sur ce complexe hôtelier tentaculaire désormais privé de ses arbres. Un peu plus loin, au-delà d’un pont au parapet couvert de représentations de serpents mythiques, une foule d’ouvriers chinois trime sur des villas de style européen et contemporain. Dans les airs, le rugissement d’un rotor. Un hélicoptère apporte un autre groupe de clients chinois, qui après avoir atterri est conduit à bord de voiturettes de golf vers le confort climatisé.
“C’est la première fois que je vois une station balnéaire aussi grande, confie Mlle Phan Mai. C’est bien mais il fait un peu trop chaud.” Phan Mai est employée par le Dara Sakor Seashore Resort qui, dans le golfe de Thaïlande, occupe un terrain de la taille de Singapour. Le complexe est construit par le Tianjin Union Development Group.
Le site est également au cœur d’une rivalité géopolitique qui met ce coin du Cambodge sous les projecteurs de la communauté internationale. Quand Phnom Penh a signé le bail de 99 ans avec la société chinoise, le président Xi Jinping n’était pas encore en fonctions, et les nouvelles routes de la soie [Belt and Road Initiative, ou BRI en anglais], l’initiative qu’il a lancée pour relier Pékin aux économies régionales, n’appartenait pas encore au vocabulaire mondial.
Le Cambodge de plus en plus dépendant de la Chine
Dara Sakor s’est retrouvé sur une liste de projets de la BRI publiée en 2017 par un organisme dépendant du ministère du Commerce chinois, selon Reuters. Pressé par les Occidentaux de cesser la répression qu’il inflige aux dissidents, le Cambodge, troisième économie la plus faible de l’Asean [Association des nations d’Asie du Sud-Est], dépend depuis quelques années de plus en plus de la Chine. Celle-ci est devenue son plus grand pourvoyeur d’aides, d’investissements et de prêts. Elle représentait l’année dernière 41,3 % des investissements étrangers directs et 49 % de la dette extérieure brute du pays.
Cette dette est considérée comme supportable par Phnom Penh parce qu’elle ne représente que 21,4 % du produit intérieur brut, soit bien moins que le seuil de 40 % retenu par les institutions internationales. Pourtant, craignant que le piège de la dette ne permette à Pékin de mettre la main sur des actifs étrangers en difficulté, Washington demande qu’on porte une attention particulière à Dara Sakor.
Ce projet de 3,8 milliards de dollars [3,4 milliards d’euros] s’étend dans la province de Koh Kong sur 90 kilomètres, soit un cinquième de la côte cambodgienne. Il comprend non seulement des hôtels, des parcours de golf et une marina, mais aussi un aéroport international et un port en eau profonde qui pourraient en théorie être utilisés à des fins militaires
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