
Les autorités l’ont appelé Briana. Originaire des États-Unis, elle est arrivée en Jamaïque il y a quelques années. Son numéro de série est le 245PN70462. Briana est un pistolet Browning de 9 mm. The New York Times est parti à la recherche de cette arme, responsable de neuf homicides, dans les rues de la paroisse de Clarendon, en banlieue de la capitale jamaïcaine, Kingston.
Aux États-Unis, difficile de remonter sa trace. Si seuls certains États américains exigent l’enregistrement des armes, aucun registre national complet de la possession d’armes à feu n’existe, et il est même interdit au gouvernement fédéral d’en créer un, explique The New York Times. L’arme à feu reste intraçable depuis 1991, sa date d’achat.
En Jamaïque, Briana est classée huitième parmi les armes les plus recherchées de l’île, où le taux d’homicides est l’un des plus élevés du monde. Les armes à feu sont responsables de 80 % des homicides en Jamaïque, contre 32 % dans le monde, selon l’Institut Igarapé, et la plupart d’entre elles proviennent des États-Unis, où les lois sont laxistes.
Une vague de violence balaie la Jamaïque, provoquée par les petits gangs, les conflits entre les criminels et des guerres entre les quartiers qui durent depuis plusieurs générations, à cause d’une haine ancienne alimentée par l’orgueil. Cette année, le gouvernement a dû décréter l’état d’urgence pour arrêter le bain de sang dans différents secteurs dangereux et faire descendre l’armée dans la rue.”
Une liste pour surveiller les armes
Si, aux États-Unis, le débat se concentre sur les droits constitutionnels des citoyens américains, en Jamaïque tout le monde s’accorde à dire que ce sont les armes à feu en provenance d’Amérique du Nord qui rendent le pays si meurtrier. “Et pendant que le débat sur la limitation des armes tourne en boucle aux États-Unis, les Jamaïcains disent que celles-ci les tuent : le taux d’homicides par armes à feu y est neuf fois plus élevé que la moyenne mondiale”, poursuit le quotidien américain.
Sur l’île, elles jouent un rôle central dans les assassinats. Les armes à feu sont baptisées afin que les autorités puissent les traquer, détaille The New York Times. Ghost ou Ambrogio font partie de la liste des 30 armes les plus meurtrières du pays. Au sujet de Briana, impossible de retrouver autre chose que le nom et les coordonnées de son acheteur d’origine, selon les documents consultés par le journal. Il s’agit d’un agriculteur de Greenville, en Caroline du Nord.
Johnnie Ray Dun a acheté son Browning de 9 mm à l’automne 1991. Selon les pages des obsèques d’un journal local, il est mort en 2011, et le quotidien new-yorkais n’a pas réussi à joindre sa famille.
Gangs et vengeance
Impossible aussi de savoir comment ce Browning est arrivé en Jamaïque, même si la plupart des armes arrivent sur des porte-conteneurs, camouflés parfois dans les moteurs de voitures. Lorsque les autorités jamaïcaines effectuent des saisies lors des contrôles routiers ou dans des ports, elles demandent aux autorités américaines de les examiner. Entre 2016 et 2018, 1 500 armes ont ainsi été contrôlées, dont 71 % provenaient des États-Unis. Briana appartiendrait maintenant à un gangster surnommé Hawk Eye (“Œil de faucon”), révèle The New York Times. Samuda Daley, de son vrai nom, est membre du gang Gaza.
Après avoir disparu pendant vingt-quatre ans, Briana est réapparue en Jamaïque, où elle a commencé à faire des ravages en frappant une première fois le 19 septembre 2015. Un membre d’un gang rival à celui de Samuda Daley est tué par le Browning de 9 mm. Au total, les autorités retrouvent la trace de Briana sur 8 scènes de crimes. “Pendant que la police menait son enquête, le pistolet a été utilisé à plusieurs reprises par le gang Gaza, et souvent par Samuda Daley, l’assassin connu sous le nom de Hawk Eye.”
Retrouvée par hasard
“L’épopée meurtrière du Browning s’est terminée un peu comme elle avait commencé, conclut le quotidien. La petite amie du chef du gang Gaza a été assassinée à son domicile le 21 janvier 2018, certainement par un membre du gang rival. Si elles connaissaient son calibre et même le conflit dans lequel l’arme était impliquée, les autorités n’étaient toujours pas près de la retrouver. En cause : aucun témoin n’osait témoigner tant que Hawk Eye était toujours en vie.
C’est dans un bar, le 28 avril 2018, vers 23 heures, que Briana a été interceptée. Alors qu’un policier prenait un verre, deux hommes sont arrivés pour cambrioler l’établissement, écrit The New York Times. L’un d’entre eux était Samuda Daley. L’officier a tiré et tué le gangster, qui était armé de Briana. Des témoins ont alors contacté la police, permettant de lier Samuda Daley à d’autres tirs. Grâce au numéro de série de l’arme, les policiers ont remonté sa trace. “Elle les a conduits jusqu’en Caroline du Nord, à une époque où Daley n’était pas encore né.”