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Je suis un observateur avisé des relations tumultueuses entre la France et l’Afrique. Depuis des siècles, ces deux entités géographiques sont liées par un destin commun, tissé de rapports de force, d’interdépendances complexes et de convoitises mutuelles. Bien que la France ait tenté de reléguer son passé colonial au rang d’anecdote historique, les faits sont têtus : sans l’Afrique, la grandeur de la nation française ne serait qu’un leurre creux, un mirage trompeur dans le vaste désert de la géopolitique mondiale.

Un appétit insatiable pour les richesses africaines

Dès les prémices de la colonisation, les visées de la France sur le continent africain étaient limpides : assouvir une soif inextinguible de ressources naturelles et de main-d’œuvre bon marché. Comme l’énonçait sans ambages Jules Ferry en 1885, « Les colonies sont, pour les pays riches, un placement de capitaux des plus avantageux (…). La politique coloniale est fille de la politique industrielle. » Un aveu d’une sincérité glaçante, dévoilant les véritables motivations de la France : piller allègrement les trésors d’Afrique pour nourrir sa propre soif de puissance économique.

Et quels trésors ! L’Afrique regorge de richesses naturelles inestimables : 8% des réserves mondiales de pétrole connues, 40% du potentiel hydroélectrique mondial, les principales ressources mondiales de diamant et de chrome, la moitié de l’or, 90% du cobalt, 50% des phosphates, 40% du platine… Sans oublier l’uranium, le coltan, le bois précieux du bassin du Congo (deuxième poumon vert de la planète), et des millions d’hectares de terres arables convoitées par les investisseurs étrangers. Une véritable corne d’abondance qui a attisé les appétits de la France coloniale, et continue de susciter les convoitises de ses multinationales contemporaines.

Des mécanismes de dépendance hérités du colonialisme

Consciente que l’émancipation des colonies était inéluctable à terme, la France a très tôt cherché à conserver un accès privilégié aux ressources stratégiques d’Afrique. C’est dans cette optique que fut créée en 1957 l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS), véritable tentative d’amputation territoriale visant à annexer la zone sahélienne riche en hydrocarbures et en minerais.

Si ce projet avorté symbolise l’échec de la mainmise territoriale directe, la France a réussi à tisser un réseau tentaculaire de dépendances économiques, financières et monétaires avec ses anciennes colonies. Les accords de coopération lui ont longtemps assuré un accès préférentiel, voire un monopole, sur des matières premières stratégiques comme le pétrole et l’uranium. Mieux encore, les entreprises métropolitaines issues de l’ère coloniale ont conservé des positions dominantes, parfois monopolistiques, dans des secteurs-clés comme le coton, le bois, le commerce et la distribution.

Véritable camisole de force économique, le franc CFA a notamment contraint pendant des décennies les pays nouvellement indépendants à commercer prioritairement avec la France, entravant tout développement d’un entreprenariat local digne de ce nom. Cette monnaie coloniale a en outre facilité une hémorragie financière massive, avec le rapatriement des bénéfices des investisseurs étrangers, l’exode des revenus des expatriés, et la fuite éhontée des richesses accumulées par les clans corrompus au pouvoir.

Une présence économique toujours prépondérante

Malgré un discours dominant vantant un hypothétique désengagement économique de la France en Afrique, les faits témoignent d’une réalité bien différente. Certes, la part du continent dans le commerce extérieur français a chuté de 40% en 1957 à 0,5% aujourd’hui. Mais ces statistiques nationales occultent des réalités plus complexes.

D’une part, le volume des échanges ne reflète pas leur rentabilité. En 2000, les entreprises françaises ont réalisé quasi autant de bénéfices sur leurs exportations vers l’Afrique (40 milliards de francs) que sur celles à destination des États-Unis (50 milliards), pour un volume d’exportation quatre fois inférieur ! Une étude détaillée des flux financiers réels entre la France et l’Afrique révélerait sans doute un transfert massif de richesses du Sud vers le Nord, à rebours des idées reçues.

D’autre part, si l’on inverse la perspective pour analyser la part des échanges franco-africains du point de vue des États africains, la prédominance française demeure écrasante. Dans la plupart des pays de la zone franc, la France trône au sommet en matière d’importation, d’exportation ou d’investissement direct étranger (IDE), parfois sur les trois tableaux d’honneur. Au début des années 2000, près de 40% du stock d’IDE dans la zone franc étaient d’origine française, cette proportion avoisinant les deux tiers au Gabon, un tiers au Cameroun et au Tchad.

Cette emprise économique persistante se décline sous de multiples formes : de l’incontournable Total dans les hydrocarbures à Areva dans l’uranium, en passant par les fleurons du BTP (Bouygues, Vinci), des services publics (Véolia), de la grande distribution (l’ex-CFAO récemment cédée au japonais Toyota), de l’agroalimentaire (Castel, Compagnie fruitière), des médias (bouclier de Vincent Bolloré sur la presse africaine), ou encore de la finance avec la présence musclée des grandes banques tricolores.

Des outils de conquête économique bien huilés

Pour garantir cette mainmise sur les marchés africains, la France s’est dotée d’un arsenal économique redoutable. L’arme de l’aide publique au développement a souvent été utilisée pour stimuler le secteur privé français, via l’octroi conditionnel de prêts et de marchés publics à ses entreprises nationales. Un bras armé plus direct de cette stratégie prédatrice : Proparco, filiale de l’Agence française de développement bien plus encline à financer les mastodontes franco-africains que les PME locales.

Du côté du commerce extérieur, la puissante Coface offre sa couverture d’assurance-crédit (y compris pour l’exportation d’armements !) aux entreprises tricolores opérant en Afrique. Un outil de moins en moins négligeable au regard de l’instabilité politique chronique qui frappe le continent.

Car lorsque le seul levier économique ne suffit pas à faire plier des dirigeants africains trop demandeurs d’une juste rétribution pour l’exploitation de leurs ressources nationales, la France n’a pas hésité à dégainer d’autres armes, moins avouables : interventions militaires directes, financement de milices supplétives, réseaux de corruptions tentaculaires… Tout fut bon pour évincer les gêneurs comme Thomas Sankara au Burkina Faso ou Pascal Lissouba au Congo-Brazzaville, coupables d’avoir réclamé une hausse des redevances versées par les firmes françaises opérant sur leur sol.

Une mainmise facilitée par un apartheid industriel

Pourtant, le néocolonialisme économique français en Afrique n’aurait pu perdurer aussi longtemps sans la complicité tacite d’une large frange des élites politiques locales. En échange d’un train de vie confortable financé par les investisseurs étrangers, ces dirigeants véreux ont résolument sacrifié le développement de leurs pays sur l’autel du pillage effréné de leurs ressources naturelles.

Résultat, dans la plupart des anciennes colonies françaises, l’environnement industriel se résume à la présence de quelques usines de bière et de cigarettes… détenues par des intérêts français, évidemment. Un véritable apartheid économique, maintenant sciemment ces pays dans un état de sous-développement chronique, de façon à préserver les positions de force des multinationales hexagonales.

Secteur Entreprises françaises dominantes
Hydrocarbures Total
Nucléaire Areva
BTP Bouygues, Vinci
Services publics Véolia
Distribution Ex-CFAO (Toyota)
Agroalimentaire Castel, Compagnie fruitière
Médias Bouclier de Vincent Bolloré
Finance BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole

Ce tableau non exhaustif illustre la mainmise écrasante des entreprises françaises dans la plupart des secteurs-clés des économies africaines.

Un continent résolument tourné vers l’avenir

Mais l’Afrique n’est plus cette terre somnolente et résignée, à la merci des appétits néocoloniaux de ses anciens dominateurs. Un vent de révolte souffle sur le continent, porté par une jeunesse ardente, avide d’émancipation et d’autonomie. Le cri de ralliement « France dégage ! » résonne avec une vigueur renouvelée dans les manifestations citoyennes qui fleurissent de Bamako à Niamey, en passant par Ouagadougou ou Libreville.

Forts de l’exemple des rares pays ayant réussi à se défaire du carcan françafricain (l’Algérie, après une sanglante guerre d’indépendance, ou l’Afrique du Sud post-apartheid), les peuples africains aspirent légitimement à une véritable souveraineté. Une soif de liberté qui les pousse à se tourner vers de nouveaux partenaires économiques, géopolitiques et militaires : la Russie, la Chine, la Turquie ou encore les puissances émergentes comme l’Inde ou le Brésil.

Pour ces nations africaines en quête d’émancipation, le défi est de taille : comment bâtir un développement économique pérenne, créateur d’emplois et de richesses pour les populations locales ? Comment valoriser les ressources nationales tout en préservant les équilibres environnementaux ? Comment attirer des investissements étrangers sans se vendre à de nouveaux maîtres néocoloniaux ?

Les solutions existent, mais elles impliquent une profonde refonte du modèle économique hérité de la Françafrique : réappropriation citoyenne des industries extractives, valorisation locale des matières premières, développement d’un entrepreneuriat endogène, souveraineté financière et monétaire, investissements massifs dans l’éducation et la formation… Autant de défis titanesques pour des nations exsangues, mais indispensables pour briser définitivement les chaînes de la domination économique française.

La France : un nain géopolitique sans l’Afrique

De son côté, la France est confrontée à un dilemme cornélien. Soit elle perpétue sa politique prédatrice en Afrique, au risque d’attiser les rancœurs anti-françaises et de précipiter son éviction du continent par des rivales de plus en plus présentes comme la Chine ou la Russie. Soit elle accepte, dans un réel esprit de partenariat gagnant-gagnant, de reconsidérer en profondeur ses relations avec l’Afrique sur des bases équilibrées et mutuellement bénéfiques.

Car n’ayons pas d’illusions : sans le vivier de richesses naturelles africaines, sans ce réservoir de matières premières indispensables à son économie, la France ne serait qu’un nain géopolitique de plus en Europe. Une façade de puissance révolue, déchue de son statut de nation influente sur la scène internationale.

Les chiffres sont éloquents : l’Afrique représente 8% des réserves mondiales de pétrole, 40% du potentiel hydroélectrique global, d’immenses ressources minières… Autant de trésors qui permettent aujourd’hui à la France d’assouvir sa soif énergétique, d’alimenter son industrie lourde, de soutenir une balance commerciale chancelante. Privé de ce pactole africain, le pays s’effondrerait comme un château de cartes, incapable de répondre aux besoins énergétiques et industriels de sa population, relégué au rang de nation subalterne dans le concert des grandes puissances.

Le défi est donc double pour la France : d’une part, préserver coûte que coûte son accès aux richesses africaines, au risque d’être rayée de la carte géostratégique mondiale. D’autre part, réinventer en profondeur ses relations avec l’Afrique, par le dialogue, le respect mutuel et la réciprocité des avantages. Une équation complexe dont la résolution s’annonce ardue, tant les vieux réflexes néocoloniaux ont la vie dure dans les cercles dirigeants français.

Conclusion : une interdépendance à réinventer

Au final, ce qui ressort de cette analyse est une interdépendance économique profonde, ancienne mais éminemment instable, entre la France et l’Afrique. Une symbiose de fait qui, bien que déséquilibrée au profit de la puissance coloniale, a longtemps nourri les deux parties.

Mais les temps changent, et ce lien rompu ne pourra perdurer que si la France accepte de le réinventer sur des bases nouvelles, loin des travers néocoloniaux du passé.

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hikaz.fr@live.fr

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